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Journal du Temps (5)

Finalement, se dit-il, il aura consacré une belle partie de ses longues nuits aux livres. Les livres la nuit me lisent, note-t-il. Il en va parfois aussi ainsi des femmes, rares sont celles qui auront pris ce Temps suspendu d'en faire de même, mais cela, pense-t-il, n'a au bout du compte, et donc du Temps, que peu d'importance.
Un corps à livre ouvert, se lit avec une concentration mêlée de détachement, ou avec un détachement vivifié de concentration.
Les livres donc, il y revient, il s'y glisse, plusieurs fois, comme l'on se glisse à maintes reprises dans le ploi joyeux d'un regard apaisé, dans le mouvement rayonnant d'une parole de Joie, dans les didascalies de soies et de coton, dans l'espace inouïe où naît la parole. La parole, ajoute-t-il, ne vient pas que d'une bouche ambrée, mais de tout le corps. Un sexe muet est un sexe mort, pense-t-il.




Il a donc repris le petit livre léger (1), comme l'on allume une cigarette au blond tabac américain :

" C'est un carré spacieux qui s'arrondit en bordure, assez spacieux pour y allonger une Gitane entière, sur fond blanc bien qu'il y paraisse peu, occupé qu'il est en son centre par un précepte. Aux quatre coins un bouquet vert cyprès, une touche ensoleillée de jaune, une pointe rose confèrent à l'ensemble un air de félicité campagnarde parfaitement accordé à l'inscription qui va disant :

O BEATA
SOLITUDO
O SOLA
BEATITUDO

O béate solitude, ô béatitude, est-ce à toi seule désormais qu'il me faut aspirer ? " (1)

Si seule cette phrase restait en cendre dans le fond de son écritoire, il s'en contenterait.

Il se dit, qu'il n'en a pas fini d'être ainsi lu par le petit livre.

à suivre

Philippe Chauché


(1) Mes Cendriers / Florence Delay / Gallimard

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